La fois où nous avons fini la soirée dans un poste de police

Cette histoire-là, j’ai su en temps réel que ça deviendrait un éventuel article de blog, alors même que V pour Voyage n’était qu’un vague projet, qui n’avait pas encore de nom d’ailleurs. C’était tellement improbable comme tournure d’évènement pour une journée qui avait commencé de façon plutôt banale. Je vous mets en contexte…

Mon mari et moi étions en Jordanie, plus précisément à Aqaba, une ville balnéaire dans le sud du pays. Situé sur la mer rouge, c’est un endroit très prisé pour ses plages et la pratique de divers sports nautiques, dont la plongée (sous-marine ou en apnée), en raison de ses bancs de coraux de réputation mondiale. C’était la fin de notre séjour et nous avons comme habitude de terminer nos voyages avec un peu de farniente. Pas de randonnée exténuante, ni de dortoir bondé, question de revenir de voyage détendus et disposés à reprendre notre quotidien du bon pied. Le bord de mer s’y prête bien.

DSCN1016
La ville d’Aqaba, en Jordanie

Notre plan initial de faire une croisière vers Pharaoh’s Island en Égypte pour y visiter un château des Croisades ayant échoué, nous avons décidé d’essayer le snorkeling à la place. Comme ailleurs dans le pays, il n’est pas recommandé de se baigner sur les plages publiques d’Aqaba, à cause des regards indésirables que ça occasionnera inévitablement de la part de certains locaux. Je l’avais lu dans mon guide de voyage, l’employé de l’hôtel m’en avait averti et d’autres voyageuses m’ont également prévenu. Nous n’avons donc pas prit de chance et avons choisi de se diriger vers un beach club privé, un peu en retrait de la ville. Pour ce faire, nous avons d’abord marché jusqu’au centre touristique afin de se procurer des billets d’entrée. Fin de la mise à contexte, place à l’anecdote…

En entrant dans la petite cabane, nous trouvons l’endroit vide. Après quelques secondes, une femme arrive et nous offre son aide. Nous mentionnons vouloir acheter des billets pour le beach club et elle nous demande si nous voulons également louer de l’équipement de snorkeling. Nous choisissons d’acheter une entrée simple et une entrée avec location d’équipement. À ce moment-là, nous nous trouvons pas mal brillants d’avoir pensé à se partager le masque et le tuba, à tour de rôle, pour sauver dix dinars (équivalent d’environ 18$). La dame nous fait patienter un peu. Elle a l’air de chercher quelque chose. Puis, elle fait un appel et finalement, elle trouve le carnet de billets. Nous payons comptant et nous quittons pour prendre un taxi vers le dit club.

En arrivant sur place, l’agent à l’entrée garde le billet simple et nous remet l’autre pour que nous l’apportions au kiosque de location d’équipement. Nous nous installons d’abord sur la plage et mon mari part pour aller chercher le masque et le tuba pendant que je m’enduis généreusement de crème solaire. Plusieurs minutes passent et je commence à trouver que c’est long, très long même. J’attends encore plusieurs autres minutes, je m’impatiente un peu. Finalement, je le vois qui revient. Il semble avoir tout le nécessaire de plongée. Je lui fais alors part de mon agacement :

-Moi : C’était dont bin long!

-Lui : Parles-moi en pas! C’était confus… j’ai failli pas avoir le stock.

Voici ce qu’il m’a raconté: Lorsqu’il a remis son billet à l’employé, ce dernier semblait perplexe. Il a fait appel à des collègues. Ils discutaient ensemble à propos du billet, en arabe. Ils ont ensuite fait remarquer à mon conjoint qu’il manquait le prix sur le coupon, de même qu’une signature. Les employés lui ont demandé où il a acheté les billets et ont été surpris d’apprendre que c’était une femme qui les avait vendus. Apparemment aucune femme ne travaille pour eux à Aqaba… Dans l’espoir de résoudre rapidement l’affaire, mon mari a répondu que nous avions deux billets, dont un a été laissé à l’entrée. Il a alors émit l’hypothèse que les informations manquantes s’y trouvaient possiblement. Trois employés se sont rendus à la porte principale pour retrouver le billet perdu pendant que mon époux les attendait au kiosque et que moi je l’attendais lui sur la plage. Leur entreprise s’est avérée vaine, l’autre billet non plus n’était pas conforme. L’employé qui semblait être le responsable paraissait de plus en plus concerné. Il passa finalement un accord avec mon conjoint: il allait lui remettre le matériel de plongée, mais à 17h, nous devions aller en ville avec lui, afin de lui montrer où nous avions acheté les billets.

-Moi : Pis, t’as dit oui?

-Lui : Bin j’avais pas trop le choix. Au moins, on n’aura pas à payer le taxi pour revenir.

-Moi : Ouin, tant à ça.

Nous passons quelques heures dans l’eau, à se partager aisément le masque et le tuba, mais un peu moins aisément les palmes. Car, malgré la « brillante » idée de mon chum de les prendre « un peu trop petites pour lui », elles étaient tout de même trop grandes pour moi. Je marche donc pieds nus, observe les impressionnants coraux et quelques poissons, puis, je me coupe le pied sur une roche. Je saigne. Beaucoup trop pour la grosseur de la coupure d’ailleurs. Mon chum me transporte jusqu’à la chaise longue pour m’éviter de marcher dans le sable. Un groupe de touristes russes remarque mon malaise, me demande ce qui se passe et m’offre des essuie-tout. Ensuite, deux autres touristes russes arrivent et une des deux femmes me fait signe qu’elle veut voir mon pied. Ok… je lui montre ma blessure. Elle semble trouver que c’est correct. Sa consœur y va d’un conseil fort utile: « When you go hotel, you can put vodka ». Cette situation est très cocasse, je sors mon russe du dimanche pour les remercier.

DSCN1035
Plage sur la mer rouge, au Beach club en question

L’heure du départ sonne, nous nous changeons et rejoignons le responsable pour respecter notre part du marché. Pendant le trajet, il nous explique qu’un ancien employé a gardé des livrets du club et continue de vendre des billets illicitement, sans leur remettre l’argent. Il souhaite retracer le malfaiteur, mais pour ça, il a besoin de notre aide. Nous comprenons alors un peu mieux la situation.

Puis, il change de sujet, il nous parle avec enthousiasme d’un projet pour les plongeurs de la région. C’est une d’une idée du roi, lui-même adepte de plongée. Il explique qu’en 1985, ils ont submergé un char d’assaut et que le prochain objet à y être immergé sera un avion de chasse. Il a atterri le jour même et est en chemin vers Aqaba au moment où on se parle.

-Moi: Ah bin.

Il s’ensuivit une série d’étapes, dont le premier arrêt fut la cabine de police touristique, qui nous ont escorté jusqu’au « lieu du crime », le centre touristique. Finalement, nous nous rendons au poste de police, toujours dans l’auto du responsable du Beach Club. À ce moment-là, l’homme me propose de les attendre dans l’auto. Je refuse, je veux beaucoup trop assister à ça!

À notre arrivée au poste, on nous dirige dans ce qui semble être le bureau d’un relativement haut placé. Il y a une dizaine de policiers debout dans la pièce, qui n’est pas si grande que ça. On nous offre de nous assoir et nous sert du thé.

-Nous : Shukran.

Les agents discutent longuement avec l’homme du Beach club, en arabe. Nous observons la scène en souriant, l’air niais. À quelques reprises, on nous pointe du doigt, nous savons alors qu’ils parlent de nous, sans comprendre ce qui se dit à notre sujet. Nous échangeons quelques mots subtilement:

-Moi: C’est un peu weird, hein?

-Lui : Ouais.

Un des policiers nous demande s’il peut voir nos passeports, mais nous ne les avons pas avec nous. Je dis alors à mon mari que nous avons des photos dans son téléphone. Après avoir transféré nos documents par bluetooth, on nous amène dans une autre pièce pour remplir une déclaration. Mon mari et moi racontons tout ce qui s’est passé en détails en anglais et un des policiers se charge de rédiger notre déposition en arabe avant de demander à mon mari de la signer…. sans qu’il soit en mesure de comprendre ce qu’il signe. On nous assure que ce qui est écrit est la traduction exacte de notre histoire. Je demande s’il est possible d’en avoir une copie. Ma requête est refusée, car il s’agit de documents confidentiels. On nous remercie maintes fois.

-Eux: Thank you, thank you.

-Nous: Shukran, shukran.

Sur le chemin du retour, le responsable de l’établissement nous est très reconnaissant du temps que nous avons passé à les aider et souhaite nous offrir deux entrées gratuites pour que nous puissions retourner au Beach club, « sur le bras ». Invitation que nous avons dû refuser puisque nous prenions l’avion à Amman le lendemain soir.

Voilà donc comment nous avons aidé la police jordanienne à démanteler un trafic de frauduleux billets de Beach Club. Le tout, dans un sentiment d’incompréhension quasi-total. Et dire que nous étions supposés aller en croisière ce jour-là! Comme quoi, en voyage, on peut vraiment s’attendre à tout.

Votre commentaire

Choisissez une méthode de connexion pour poster votre commentaire:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :