La semaine dernière, je vous présentais une entrevue réalisée avec Emmanuel Laflamme, artiste (et accessoirement mon beau-frère), relatant de son séjour de six semaines dans le Nord-du-Québec. Il racontait, entre autres, avoir eu besoin d’une période d’adaptation en arrivant dans cette communauté, où la réalité est très différente de la sienne.
Quand on voyage, il est normal de nécessiter quelques temps pour trouver ses repères en arrivant dans une nouvelle destination. Après tout, chaque pays est unique et les éléments qui le définissent (sur le plan culturel, historique, social, économique, environnemental, sanitaire, etc.) sont infinis. Chaque peuple a sa propre culture, ses mœurs et ses codes sociaux auxquels il faut s’acclimater au départ. En tant que voyageur, on tente alors de se fondre dans le décor de l’endroit qu’on visite, tel un caméléon, afin de mieux saisir l’essence du lieu en question.
Mais parfois, pour une raison ou pour une autre, on dirait que l’adaptation ne se fait pas. À ce moment-là, on arrive difficilement à se sentir à sa place. On peut être déprimé et perdu, sans trop comprendre pourquoi. On se met alors à rêver d’un retour précipité à la maison. Ça s’appelle avoir le mal du pays.
Ça m’est arrivé une fois. J’avais 21 ans et j’étais en voyage en Asie du Sud-Est pendant deux mois. Pour une voyageuse aguerrie comme moi, avoir le mal du pays, c’était un peu un échec. Soudainement, ce que je préfère le plus au monde ne me rendait plus aussi heureuse, pour raison qui m’était inconnue. Rencontrer d’autres cultures, découvrir des modes de vie différents, m’imprégner d’une réalité exotique, c’est habituellement ce que je recherche quand je voyage. Normalement, je ne veux jamais que le voyage se termine. Mais celui-là, je l’ai vécu différemment.
J’avais pourtant hâte d’y aller. J’ai tenu un décompte dans les semaines qui précédaient mon départ. À l’aéroport, je me souviens avoir pensé que je ne savais tellement pas ce qui m’attendait là-bas que j’avais l’impression que je m’apprêtais à sauter dans le vide. Je n’ai malheureusement pas apprécié la chute libre qui a suivi, pour poursuivre dans la métaphore.
Une fois sur place, j’ai d’abord été happée par le chaos urbain et la température infernale du Sud-Est asiatique en plein été. Si vous avez lu La fois où je me suis évanouie dans la cour d’une Jamaicaine bienveillante, vous savez que la chaleur et moi, ça ne fait pas bon ménage.
Puis, j’ai rencontré des locaux qui voulaient toucher mes cheveux blonds ou prendre des photos avec moi pour aucune raison apparente. J’ai vu des gens qui brulaient de l’argent, des bébés portés sur le dos de d’autres bébés à peine plus vieux, des scooters avec cinq personnes à bord, des publicités de produits corporels qui blanchissent la peau, et j’en passe. Tout ça me paraissait tellement bizarre et absurde. Dans mon carnet de voyage, j’ai écrit « Ici, c’est l’autre bout du monde et c’est le monde à l’envers ».
Partout où j’allais, je me sentais extraterrestre. Quand le moindre petit rayon de soleil brûlait ma peau trop blanche, c’est moi qui étais bizarre. Quand mon estomac de nord-américaine ne tolérait pas l’eau du robinet, c’est moi qui étais bizarre. Quand je demandais du lait de vache pour manger mes céréales, décidément, c’est moi qui très étais bizarre :
-Here are your Corn Flakes Madam.
-Thank you. Can I have some milk with it?
-Milk?
-Yes please.
-Cow milk?
-Yes, cow milk.
-Ok…
(Le serveur revient avec un berlingot tiède.)
-Oh, sorry, could I have it cold please?
-Cold?
(Bin oui, parce que du lait tablette, ça aurait été beaucoup moins étrange!)
Tout au long du voyage, je ne ressentais pas mon enthousiasme habituel à l’idée de tout ce qui m’attendait en cours de route et j’envisageais difficilement de séjourner si longtemps dans cet environnement étranger. Pour y arriver, j’ai dû ponctuer mon parcours de petits réconforts occidentaux au quotidien.
Cet été-là, j’ai vu tous les blockbusters américains: Captain America, Fast and Furious 5, Rise of the Planet of the Apes, Harry Potter 7 (la partie 2, même si je n’avais pas vu la partie 1), Kung Fu Panda 2 et même Mr. Puppers’ Penguins, un film avec Jim Carrey qui ne passera décidément pas à l’Histoire. Le cinéma offrait deux avantages significatifs : le confort climatisé de la salle me donnait une pause de la chaleur permanente de l’extérieur et me plonger dans un univers imaginaire (même si je n’avais aucun intérêt réel pour le scénario) permettait à mon esprit de s’évader pendant deux heures.
Ironiquement, c’est aussi en Asie que j’ai consommé le plus fast-food américains. C’est d’ailleurs là que j’ai découvert la chaîne Starbuck’s. Je connaissais le nom bien sûr, mais je n’y avais jamais mis les pieds avant. Une fois, j’y suis entré et je me suis laissé tenter par un item sur le menu. J’ai commandé un caramel latte. Enfin, un endroit où c’était socialement accepté de consommer du lait de vache! J’ai aussi fréquenté à quelques reprises des McDonald’s pour me procurer des cornets de crème glacée molle ridiculement peu cher, dans mon éternelle quête de me rafraichir un peu.
Quand je repense à mon séjour en Asie, j’ai un peu honte. Parce que je ne veux pas être celle qui s’empresse de googler le Starbuck’s le plus proche en arrivant dans une nouvelle ville, au lieu d’essayer le petit resto du coin recommandé par des locaux. Ni celle qui préfère flâner dans un centre commercial plutôt que de visiter un attrait culturel du pays. Mais à ma défense, je n’étais pas tout à fait moi-même. Nul n’est à l’abri d’avoir le mal du pays, et ça, je l’ai compris à ce moment-là.

Il y a quand même eu certaines étapes de mon parcours que j’ai apprécié davantage. Des endroits loin du brouhaha citadin des métropoles sud-asiatiques, où l’atmosphère était plus propice à la détente. C’est le cas de la ville de Luang Prabang au Laos (qui n’était même pas sur notre itinéraire initialement, une belle découverte), de Samosir sur l’île de Sumatra en Indonésie et évidemment, de la magnifique île de Bali, où nous avons terminé notre voyage. Si vous avez lu La fois où nous avons troqué notre auberge jeunesse pour une villa à Bali, vous comprenez mieux maintenant l’état mental dans lequel je suis arrivée à ladite villa.

Je n’ai jamais compris pourquoi je n’ai pas réussi à profiter de mon voyage en Asie autant que mes autres périples. J’ignore si c’était parce que j’étais mal préparée à ce que j’allais vivre là-bas, parce que je suis partie trop loin, trop longtemps ou encore simplement parce que la destination était moins dans mes cordes. J’imagine que je devrai retourner en Asie un jour pour en avoir le cœur net.
Sans rancune Asie. C’est pas toi, c’est moi.
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